Aujourd’hui mercredi 18 janvier, lever aux aurores pour embarquer sur un catamaran direction Cap Horn. Enfin pas tout à fait, canal de beagle déjà. Patricia nous a fait passer pour des étudiants argentins, nous faisant bénéficier d’une réduction de plus de 50%… sur des montants de plus de 100€ par personne c’est plus qu’intéressant ! Le temps est couvert et très frais mais c’est très revigorant. On navigue vers l’antarctique doucement.
Le premier arrêt est l’île aux lions de mer qui baillent bruyamment (et à l’haleine putride) en se prélassant sur les rochers de cette petite île d’une centaine de mètres carrés. Un peu plus loin se trouve la même petite île mais cette fois-ci recouverte de cormorans braillant en décollant et atterrissant constamment.
Au bout d’une heure de navigation on aperçoit enfin au loin le fameux phare du bout du monde, rouge et blanc, le dernier avant l’antarctique. L’impression est unique, avec ces magnifiques montagnes aux toits enneigées en arrière-plan, le canal agité, ce phare sorti de nul part… un vrai décor de bout du monde…
Puis le clou du spectacle : une île de pingouins papou… Enfin le clou… censé parce qu’au final les pingouins papous sont les plus petits de l’espèce, et on n’a même pas pu descendre du bateau pour marcher droit comme un i avec eux… Le retour se fait d’une traite, en regardant une projection de ‘la marche de l’empereur’ à demi-yeux car la fatigue et les mouvements du navire agissent telle une berceuse.
Une fois à quai nous rejoignons Patricia qui nous emmène chez elle pour se faire quelques sandwichs de Milanaises avant de filer au magnifique Parc National de la terre de feu. Là encore les écarts de tarifs entre résidents argentins et étrangers sont ahurissants, variant de 10 à 80 pesos l’entrée ! Après quelques minutes de marchandage tout en montrant sa carte de résidente Ushuaïa, Patricia arrive à nous faire rentrer de nouveau en tant qu’Argentins, étudiants qui plus est (réductions supplémentaires) en rentrant dans le jeu de Nico affirmant que nous sommes à l’Université de Buenos Aires. Un amour cette hôte ! Nous pénétrons donc dans ce parc tout droit tiré des paysages du film ‘Into the Wild’, en encore plus impressionnant par la diversité des tableaux.
Le premier est la Laguna Verde, entièrement verte comme son nom l’indique, aux magnifiques reflets émeraude. Le deuxième la Laguna Negra, un lac à l’eau noire comme l’ébène à cause des tourbes qui en garnissent le fond. Ushuaia est le premier et dernier exportateur mondial de Tourbes, qui alimentent des centrales électriques dans le Nord du pays et à l’étranger. Beaucoup d’autres panoramas suivent ces lagunes jusqu’au somptueux Lago Roca, encadré au loin par deux monts magnifiques. Un long arrêt d’admiration s’impose… Nous en profitons pour tester quelques ricochets sur l’eau limpide et réfléchissante du bout du monde… Qu’il fait bon être ici malgré le froid !
Nous rentrons tranquillement en ville pour aller dans ‘La Boutique du Livre’, la renommée librairie d’Ushuaia. Là, Hélène s’achète l’anthologie ‘In Patagonia’ de Bruce Chatwin en anglais tandis qu’Adé regrette que celle de Fitz Roy, Aux confins de la terre, n’existe pas en petit format. Elle se rabat donc sur deux livres de poches en Français et NAH World Tour investit dans un guide de langue anglais-russe en prévision du trajet en transsibérien…
Le repas du soir, notre dernier déjà, est partagé de nouveau avec les deux générations de cette famille argentine si accueillante…
Nous parlons beaucoup du statut particulier des Ushuaiens qui sont exonérés d’impôts, ont des subventions pour le gaz, l’électricité et l’essence, et bénéficient en plus de salaires 5 fois plus élevés que dans le reste du pays… Cette situation extraordinaire est expliquée par des raisons purement géopolitiques. La Terre de feu est géostratégiquement très importante, pétrolifèrement parlant et géopolitiquement parlant puisqu’elle est le dernier espace de terre avant l’antarctique et les îles Malouines où se trouvent des ressources énergétiques encore très importantes et inexploitées. Pour garder la suprématie de cette région du monde, l’Argentine devait la peupler d’Argentins, pour éviter que des Chiliens ou des Britanniques leur prennent la place. Tout fut fait pour attirer des Argentins ici mais la rudesse de la vie, infrastructures et climat, était un obstacle trop grand. Ce furent donc les bagnards qui firent office de premiers colons et surtout de main d’œuvre courageuse pour rendre cette nature sauvage habitable. Les avantages accordés par le gouvernement ont perduré, et à l’heure des conflits avec la couronne britannique pour la suprématie sur les îles malouines, ils ne sont pas près de cesser, tout comme les porte-avions et autres camps armés argentins ne sont pas près de quitter la zone… Du coup les salaires ushuaïens tournent aux alentours des 6000 US$ pour un fonctionnaire alors que la vie n’y est pas beaucoup plus cher qu’ailleurs puisque le prix du transport depuis Buenos Aires est compensé par l’absence d’impôts et de taxes. Sans compter les subventions sur l’énergie. On comprend mieux pourquoi Ushuaia croit chaque année malgré l’aspect peu attirant que son climat (des jours très longs mais froids en été, et très courts et glacials en hiver). Notre séjour aux confins de la Terre fut court mais tellement intense.